20 Novembre 2002
La lettre suivante a été adressée aux participants à la conférence d'aide internationale au Liban, dite " Paris II", qui aura lieu demain, samedi 23 Novembre.

Lettre ouverte aux participants à Paris II
Au Liban, pas de stabilité sans un état de droit

Messieurs,

Alors que va se tenir prochainement la conférence dite " Paris II ", nous tenons à attirer votre attention sur certaines réalités au Liban, qui ne servent ni les intérêts des Libanais, ni celles de ceux qui souhaitent investir au Liban.

En tant qu'organisation de défense des droits de l'Homme, nous ne nous attarderons pas sur la situation politique libanaise. En revanche, nous ne pouvons que souligner une régression gravissime de la démocratie depuis quelques mois. Le trucage des élections, les assassinats politiques - sur lesquels aucune enquête n'aboutit - , la fermeture de la chaîne de télévision privée MTV le 4 Septembre, les manifestations réprimées avec une extrême violence… en sont autant de symptômes très préoccupants.

Le mouvement SOLIDA (Soutien aux Libanais Détenus Arbitrairement) se préoccupe plus particulièrement des questions de détention arbitraire et de disparitions forcées.

Au Liban, des dizaines d'opposants sont chaque année arrêtés, et fréquemment torturés, pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions. Un opposant et un journaliste viennent de purger une peine de quinze mois de prison, après un procès inéquitable de la justice militaire. Un autre journaliste condamné dans la même affaire, Antoine Bassil, est toujours en détention. Au début du mois, quatre Libanais, Eliano El Mir, Bechir Sleimane, Amine Hasrouni et Wassim Kayssar ont été condamnés à de la prison ferme

(1 à 2 mois) pour distribution de tracts.

Alors que 17000 personnes ont disparu sur le territoire libanais pendant la guerre, le gouvernement libanais n'a jamais ordonné d'enquête sérieuse visant à déterminer leur sort. Outre la souffrance qu'elles infligent à leurs familles, ces affaires non élucidées restent une source de tension sociale, la lumière n'ayant jamais été faite sur les crimes du passé.

Par ailleurs, les autorités libanaises ne font rien pour empêcher les enlèvements en territoire libanais, qui se poursuivent : Au moins 200 Libanais sont détenus illégalement au secret en Syrie, après avoir ainsi " disparu " sur le sol libanais, et là encore les autorités libanaises refusent d'intervenir, se disant même volontiers impuissantes dans ce dossier. Une dizaine de Libanais enlevés au Liban sont retenus en otage dans les geôles israéliennes, et le Hezbollah détiendrait un certain nombre d'otages israéliens, qu'il entend échanger avec Israël mais les négociations sont actuellement au point mort.

Selon certaines informations, le Hezbollah, qui contrôle plusieurs zones du Liban procède également à des arrestations arbitraires et des interrogatoires illégaux dans ses locaux.

Les autorités du Liban veulent reconstruire le pays sur du sable ; la stabilité d'un pays passe avant tout par un état de droit. Comment espérer la stabilité d'un pays lorsque la grande majorité de la population doit se taire pour survivre? lorsque l'Etat ne garantit pas et viole même impunément les droits de ses citoyens ? lorsque quiconque peut y disparaître ou y être assassiné dans l'indifférence des autorités ? lorsque la justice est inexistante car soumise au pouvoir politique ?

Nous vous appelons à demander aux autorités libanaises des garanties de l'application des engagements internationaux pris par le Liban. A ce titre, nous recommandons :

1. que les autorités libanaises garantissent une véritable liberté d'expression en renonçant à toute forme de répression à l'égard des opposants, et des médias.

2. que les autorités du Liban tolèrent une enquête indépendante et impartiale visant à déterminer le sort des disparus, par le biais d'une commission d'enquête disposant des prérogatives nécessaires pour enquêter efficacement sur leur sort, et avec tous les moyens techniques existants pour identifier les corps qui se trouvent dans des charniers.

3. que le Liban accepte, et même sollicite, une médiation de la communauté internationale pour faire libérer les Libanais détenus arbitrairement en Syrie, et rapatrier les corps de ceux qui ont pu y décéder.

4. que les autorités libanaises préviennent les enlèvements par des forces étrangères au Liban, et, s'agissant des Libanais et des Israéliens toujours détenus, oeuvrent à ce que Israël et le Hezbollah libèrent rapidement leurs prisonniers.

Enfin, nous appelons les participants à Paris II à mettre tout en œuvre pour qu' Israël, comme la Syrie, cessent toute violation des droits humains en territoire libanais.

Dans cet espoir, recevez, Messieurs, l'expression de nos cordiales salutations.

Le Mouvement SOLIDA

(Soutien aux Libanais Détenus Arbitrairement)

Paris, le 22 Novembre 2002