VOX DEBILI

Vivement demain. Ballepeau la promenade, bernique le pique-nique avec la smala. En revanche, tu amèneras bobonne, mamie, mémé et les deux pépés dans une bicoque délabrée, sur laquelle flotte un tissu rouge et blanc frappé d'un buisson. Là, s'installe un véritable cours d'anatomie appliquée des membres supérieurs : faudra jouer des coudes, renifler des dessous de bras, manger dans la main des gendarmes, avant de voter pour une brochette d'ahuris, qui s'empresseront de te faire un doigt d'honneur pendant quatre ans.
Avec un peu de chance, tu seras peut-être témoin d'une séance de spiritisme à l'intérieur même de l'isoloir où se trouve tapi un non-civil, très peu civil. Profession : fantôme. Son boulot s'articule autour de trois missions : avant les élections il hante les listes ; pendant les élections il ressuscite les morts ; après les élections il enterre les résultats.
Et puis, tu n'oublies surtout pas ta carte électorale, la vraie, pas la copie de remplacement. Tu sais, celle délivrée naïvement par les services du Bteghrinator, après que l'originale aura été donnée aux copains et aux coquins. Mais bon, l'ordinateur ne pouvait pas savoir. Il n'est pas libanais, lui.
Enfin, voilà ta minute de gloire. L'urne est là, piège à cons dans toute sa splendeur. Ni électronique, ni transparente, avec son bois mité et sa fente à la limite de l'obscène. Là, tu as un pouvoir terrible : départager les prosyriens loyalistes, les prosyriens opposants, les prosyriens modérés et les prosyriens intégristes. C'est là aussi que ton bulletin pourra côtoyer ceux de tes ancêtres jusqu'à la treizième génération, faisant de la boîte magique une urne funéraire vivante.
Quand je pense aux minables qui s'excitent parce que la loi électorale ne traite pas les Libanais sur un pied d'égalité. C'est faux ! Cette loi les traite seulement comme des pieds. Alors, il n'est pas étonnant que demain certains votent avec leurs souliers.

Gaby NASR